LA TOPIQUE

Publié le par GOTHIC

LA TOPIQUE ROMANTIQUE

 

L'AMOUR


L'amour romantique ne se réduit pas au cliché habituel. Il existe incontestablement une idéal|isation de l'amour : « La réduction de l'univers à un seul être, la dilatation d'un seul être jusqu'à Dieu, voilà l'amour » (Hugo, Les Misérables). Cet amour passionnel s'oppose au mariage qui n'est qu'un arrangement froid et réfléchi excluant d'emblée l'exaltation des sentiments.Néanmoins, l'amour romantique est loin d'être idyllique : la violence de la passion est aussi la violence du désir ; l'acte charnel est parfois décrit comme un viol ou comme un accouplement de deux êtres en rut. Le héros romantique prend ainsi parfois par surprise celle qu'il désire, mais sans préméditation :

« Elle était si belle, à demi-vêtue et dans un état d'extrême passion, que Fabrice ne put résister à un mouvement presque involontaire. Aucune résistance ne fut opposée. » (Stendhal, La Chartreuse de Parme, II, XXV).

Les appétits du corps sont parfois évoqués crûment, comme la description de l'orgasme d'Hassan dans les Premières poésies de Musset.L'amour romantique est ainsi absolu et excessif ; il subvertit la morale par sa brutalité, et suscite des jalousies fatales par son inconstance ; source de souffrance et de jouissance violentes, il foudroie et tue parfois par un mot, comme Rosette, dans On ne badine pas avec l'amour, qui tombe morte quand celui qui lui demande sa main avoue qu'il en aime une autre. L'amour est pour le romantisme la seule fatalité invincible : il ne fait qu'un avec l'élan vital dans le bonheur, mais se métamorphose, dans le malheur, en passion désespérée, avec son lot de crimes abominables, de meurtres, de trahisons, de suicides, de destruction de la personne aimée.

 

MAL DU SIECLE ET MELANCOLIE


Le romantisme exprime un profond malaise des hommes victimes d'un monde économique où il devient impossible de vivre dignement. Musset dénonce ainsi le matérialisme bourgeois. Les progrès intellectuels apportés par les Lumières s'accompagnent en effet d'un vide spirituel, d'un ennui profond qui pousse au suicide ou à la démence (cf. Rolla de Musset) :

« L'hypocrisie est morte ; on ne croit plus aux prêtres

Mais la vertu se meurt, on ne croit plus à Dieu. »

Le malaise romantique est cependant d'une certaine beauté et il offre un certain bonheur :

« La mélancolie est un crépuscule. La souffrance s'y fond dans une sombre joie. La mélancolie, c'est le bonheur d'être triste. » (Hugo, Les Travailleurs de la mer, III, II, I)

Quant à la femme, elle est un signe distinctif qui renforce son pouvoir de séduction et exprime pleinement la féminité :

« Les femmes à taille plate sont dévouées, pleines de finesses, enclines à la mélancolie : elles sont mieux femmes que les autres. » (Balzac, Le Lys dans la vallée)

Mais par dessus tout, la mélancolie est le signe distinctif de l'artiste : c'est déjà le spleen (cf. plus tard Baudelaire) sans cause précise, état morbide où l'on ne se supporte plus, où la solitude est un enfer, où la conscience du temps qui passe et le malheur de l'homme, la cruauté de la nature accablent l'esprit, et lui inspirent des tentations de révoltes politiques ou de suicide, à moins qu'il ne sombre dans la folie. Ce mal est le mal de l'homme, sa condition, et cette expérience de la douleur est inséparable de la vie et de son apprentissage ; c'est une fatalité qu'il faut expier, un châtiment dont le monde est la réalisation.

REVOLTE ET SOCIETE


La mélancolie romantique traduit un malaise de l'individu qui ne parvient pas à vivre dans la société et simplement, à vivre. La sensibilité romantique se révolte contre un système politique qui anéantit l'artiste en se consacrant à la gloire de la nation. C'est la révolte par dégoût, dégoût de l'avidité bourgeoise, de la société moderne, dégoût pour un présent qui n'a plus de passé ni encore d'avenir, à la fois plein de semblants de ruines et d'espoirs incertains : « on ne sait, à chaque pas que l'on fait, si l'on marche sur une semence ou sur un débris. » (Musset, Confessions).

Dans cette révolte, le romantisme se radicalise parfois en un individualisme hostile et négateur qui s'exprime par des cris rageurs :

Malheur aux nouveau-nés !

Malheur au coin de la terre où germe la semence,

Où tombe la sueur de deux bras décharnés !

Maudits soient les liens du sang et de la vie !

Maudite la famille et la société ! (Musset, Premières poésies)

Cette révolte conduit à une morale hédoniste, sentimentale, par laquelle l'individu se replie sur les plaisirs du cœur. Elle devient la substance même de la vie, au point de ne pas laisser d'autre alternative que la révolte ou la mort. Cet esprit de négation trouve son incarnation la plus expressive dans la figure de Satan (Hugo), le révolté suprême, et de Méphistophélès (Goethe) l'esprit qui toujours nie. Vautrin (Balzac) qui lance un défi à l'ordre établi se dit « méchant comme le diable ». La tentation de la chute, de la révolte absolue incarnée par Satan, fascine l'âme romantique : réaction naturelle de la créature contre son créateur, contre cet « ogre appelé Dieu » (Pétrus Borel), qui se voit parfois repoussé au profit de la prière (Hugo) :

Seigneur, je reconnais que l'homme est en délire,

S'il ose murmurer ;

Je cesse d'accuser, je cesse de maudire,

Mais laissez-moi pleurer !

Dans Hernani, Hernani se "révolte" contre le Roi, Don Carlos, qui veut lui dérober Dona Sol.

 

L'INFINI ET LE NEANT

La contemplation de la nature prend dans l'âme romantique une dimension métaphysique qui la confronte à l'infini. Mais c'est aussi une vision intérieure, un résultat de la sensibilité qui est senti plutôt qu'il n'est vu, car l'infini touche d'abord l'âme plutôt que les sens et s'apparente à une conviction intime qui se tourne vers Dieu.

Ce toucher de l'âme révèle à l'homme son néant et la faiblesse de sa pensée qui le fait souffrir en lui faisant comprendre qu'il n'est rien. Cette petitesse peut cependant être consolée par un sentiment panthéiste :

Et devant l'infini pour qui tout est pareil,

Il est donc aussi grand d'être homme que soleil ! (Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses)

Cette vision peut également faire du poète un mage : l'infini est ainsi le centre du recueil de Hugo, les Contemplations. L'esprit s'arrête « éperdu au bord de l'infini », et accède aux vérités que lui révèle la nature en le dissimulant.

 

LA NUIT

 
La nuit est pour la sensibilité romantique une temporalité particulière qui favorise les fantasmes, les rêves et les cauchemars ; la nuit est à la fois douce ou terrible, évoque l'amour ou la mort. Nerval exprime dans Sylvie le bonheur d'une fête nocturne : « Nous pensions être au paradis ».

Mais Charles Nodier écrit, dans Smarra : « Il fait nuit !… et l'enfer va se rouvrir ! »
Hugo débute l'épopée de Satan par le poème « Et nox facta est », qui fait de la nuit le lieu de damnation et l'œuvre de l'ange déchu.
Foncièrement ambiguë, la nuit est propice à l'évocation des morts :

« Je songe à ceux qui ne sont plus : Douce lumière, es-tu leur âme ? » (Lamartine, Méditations poétiques, « Le Soir »)
La lumière de la nuit, la clarté lunaire, excite des rêveries mélancoliques où la présence des morts est sensible. Cette situation suscite une réminiscence qui redonne vie aux souvenirs, aux bonheurs perdus, et qui teinte le présent du charme du passé.

 

LE REVE ET LA REVERIE


Le rêve, et la rêverie, sont au centre de l'imagination romantique. Source de création, la rêverie excite l'imagination à recréer le monde ; c'est bien souvent une rêverie mélancolique et triste, comme en témoigne Marceline Desbordes-Valmore :

La tristesse est rêveuse, et je rêve souvent ;

La rêverie porte l'homme à la méditation face au grand spectacle de la nature : elle le met devant les mystères de l'existence. Cette « Stimmung » est proche d'un sentiment d'exil et de voyage : un « voyage obscur » d'où « naît la poésie proprement dite » (Hugo). Mais la rêverie est aussi un refuge et un rempart contre la réalité ; pour Musset par exemple :

Ah ! si la rêverie était toujours possible !

Et si le somnambule, en étendant la main,

Ne trouvait pas toujours la nature inflexible

Qui lui heurte le front contre un pilier d'airain. (Premières poésies)


Goya, Le songe de la raison, 1798 La rêverie est ainsi un état privilégié douloureux et inspirateur, comme le rêve, tantôt doux et enchanteur, tantôt glaçant et terrifiant. Cette dualité, chez Nodier, permet de tenter une esthétique du fantastique en puisant aux sources « d'un fantastique vraisemblable ou vrai. » Le rêve fantastique se rencontre également chez Gautier, par exemple dans « Le Pied de la momie » (1840), où la réalité et le rêve se distinguent difficilement dans l'esprit du héros romantique. C'est un état psychologique proche d'une démence fantastique, danger du créateur s'il s'abandonne au délire de l'inspiration : « Il eût été capable, sans cette tendance funeste, d'être le plus grand des poètes ; il ne fut que le plus singulier des fous. »

LA POESIE ROMANTIQUE


La poésie classique française se caractérise par un vers tétra métrique avec une césure médiane : 3/3//3/3, avec des variantes 4//2 et 2//4. Elle se caractérise également par l'emploi de mots nobles, de périphrases et de lieux communs mythologiques particuliers.

La poésie romantique va se dégager de ses contraintes. Le premier succès romantique fut les Méditations poétiques de Lamartine, qui restent classiques par bien des aspects (lexique, syntaxe), mais où l'on trouve des mots du langage ordinaire, des vers impairs et des strophes novatrices :

De quels sons belliqueux mon oreille est frappée !

C'est le cri du clairon, c'est la voix du coursier ;

La corde de sang trempée

Retentit comme l'épée

Sur l'orbe du bouclier.

Lamartine allie dans cet exemple des alexandrins 3/3//3/3 à des heptasyllabes.

Les romantiques expérimenteront ainsi toutes sortes de strophes et de versifications, à l'image de Hugo dans « Les Djinns ». Le romantisme est moins une libération des contraintes du vers, qu'une volonté d'en explorer les possibilités afin d'enrichir l'expressivité de la poésie.

Dans cette recherche qui conduira à l'art pour l'art (cf. Gautier, Emaux et camées), un apport majeur du romantisme est la disharmonie entre le mètre et la syntaxe par le recours aux enjambements, aux rejets et contre-rejets. Hernani commence par un rejet :

C'est bien à l'escalier

Dérobé.

Le vocabulaire romantique répond aussi à la recherche de l'expression : des mots plus bruts, vifs et colorés, et parfois une syntaxe relâchée :

Qué qu'ça m'fait si m'manqu'queuqu'chose,

Quand j'vois ton p'tit nez tout rose (Marceline Desbordes-Valmore)

Le vers est de cette manière rapproché de la prose. Et la prose poétique sera illustrée par Aloysius Bertrand avec Gaspard de la nuit.

Parmi les chef-d'œuvres de la poésie romantique citons : Le Lac de Lamartine, La Mort du Loup de Vigny, La Tristesse D'Olympio de Hugo et Souvenir de Musset.

 

 

 

Publié dans VISION ROMANTIQUE

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